LE BOIS SACRÉ - mythe ou réalité ?

Nous avons retrouvé dans nos archives un courrier que nous avait fait parvenir M. Charles Hovelacque (1923-2016) nous demandant de faire paraître si possible un article sur le Bois Sacré à Bougie.

Tout le monde doit se souvenir de cet espace de verdure appelé Le Bois Sacré (emplacement d'un ancien cimetière Hammadide — En Naciria, actuellement en partie un cimetière musulman puisqu'il est coupé par une route) qui domine le Chapeau de Gendarme lorsque le boulevard Biziou se scinde en deux, contournant dans une grande courbe un lotissement résidentiel.
Son grand-père, Charles Dufour, arrivé à Bougie en 1836 (décédé en 1934), lui racontait que ses vieux copains kabyles, Areski Ben Guerdoud et Tabti Ahcène lui disaient que ce bois n'avait jamais été touché ni construit en raison de nombreux enfants qui y seraient enterrés depuis fort longtemps. Ils lui disaient que ces enfants étaient arrivés sur plusieurs navires, complètement épuisés et presque mourants à cause de l’eau croupie bue à bord. En réalité, ces enfants, vendus à des marchands d'esclaves devaient être islamisés de force puis formés pour devenir des janissaires de l'empire Otoman [les esclaves de la Sublime Porte).
Ces enfants, étaient chrétiens et auraient fait partie d’une des deux “Croisades des Enfants” qui se formèrent en 1212 entre les quatrième et cinquième croisades.
Elles seraient parties simultanément, l’une d'Allemagne et l’autre de France (en juin 1212). Ces croisades, de gens du peuple, partirent après les échecs des deux précédentes (il n'y avait pas que des enfants. Une mauvaise traduction, peut-être, du terme latin désignant ce mouvement “pueri” qui peut signifier “enfants de Dieu” ou “personnes en état de pauvreté” fit que ces croisades prirent le nom de « croisades des enfants). Les deux meneurs, Nicolas de Cologne en Allemagne et Etienne de Cloyes-sur-le-Loir en France dirent avoir reçu un message de Dieu les appelant à réunir une troupe pour délivrer Jérusalem.
Un chroniqueur, mais non contemporain des faits, Albéric moine à l’abbaye des Trois Fontaines, raconte (30 ans après) ce qui serait arrivé à ce cortège.
Terrible périple qui part de St Denis pour Tours puis, après bien des vicissitudes, se retrouve à Marseille (en août 1212).
Long séjour dans cette ville qui les voit partir dans sept bateaux affrétés par des marchands pour rejoindre la Terre Sainte. 7000 enfants sur les 30.000 que devait comporter la formation initiale, purent embarquer. Les marchands, qui s'avérèrent être en réalité des marchands d'esclaves, les enfermèrent dans les cales. Ces survivants de cette longue marche endurèrent bien pire à bord de ces bateaux. Faim et maladies firent de nouveaux ravages dans cette population. Au cours de cette navigation une terrible tempête sépara les bateaux, quelques uns coulèrent au large de la Sardaigne (une chapelle, seul témoignage de leur passage, existe sur l'île de San Pietro - côte sud-ouest de la Sardaigne). Les bateaux restants, quatre où cinq, se dirigèrent vers la côte algérienne (la Berbérie) à Bougie ! et vers Alexandrie. Ces “Croisés” auraient été vendus comme esclaves.
Ces deux croisades n'atteindront jamais leur destination finale. Celle des Allemands, après le passage des Alpes, se serait achevée de façon misérable dans les villes d'Italie.

Peu de sources connues rapportent l'histoire de cette croisade française (mystifiée peut-être pour l'arrivée de ces enfants à Bougie).

Pourtant deux vitraux de l’église St Georges de Cloyes, d'où était natif Etienne, rappellent la croisade de 1212 - l'un représentant le départ de cette croisade et l’autre le départ des bateaux depuis Marseille…

Si les vieux kabyles de cette époque racontaient cela à M. Dufour avant 1934, c'est que leurs ancêtres leur avaient bien transmis quelque chose. Alors ?

Le Mythe rejoindra t-il un jour la Réalité ?

Roland PÊTRE
Sur une idée de Charles HOVELACQUE +

Une partie de la bibliographie retrouvée :
En 1895 - Voir le livre de Marcel Schwob “La Croisade des Enfants”, présente les récits de plusieurs personnes dont deux Papes !
En 1995 - “La genèse de la croisade des enfants” — Gary Dickson
En 1999 - Un numéro spécial de l’Actualité de l'Histoire, sur les croisades, en fait mention.
En 2008 - Adaptation du livre de Thea Beckmañ (1973) qui donna le film (très mauvais)
“Croisade en jeans” (film fiction de Ben Sombogaari).
En 2018 - David Turgeon “La croisade des innocents”
Et bien d'autres.

Cette “histoire” a même été portée à l’écran - voir entre autre le téléfilm, en deux parties,
de Serge Moati en 1988.

Images :
- Croisade des enfants — gravure de J. Kirchhoff - 1843
- Deux vitraux de l'église de Cloyes-sur-le-Loir
(1952)
- Croisade des enfants - gravure de Job (Jacques Onfray de Bréville - 1858-1931).
- Croisade des enfants - Julien Doré (1832-1883).
- Image du film Serge Moati.

Représentation graphique de cette possible croisade :

A gauche oeuvre de Gustave Doré
(1832-1883)

A droite oeuvre de J. Kirchhoff (1843)

Représentation des deux vitraux qui ornent l'église de Cloyes-sur-le-Loir (28)
(1952)


à gauche départ de la croisade
à droite embarquement à Marseille


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